Comment rapprocher deux notions souvent bien distinctes de la stratégie d’une entreprise ? La monétisation répond à un besoin objectif de rentabilité, de croissance, de mesure, quand l’expérience client, subjective, revêt a priori une dimension plus subtile à analyser.
La progression des outils de mesure et autres KPIs permet cependant de créer de nombreux ponts entre elles. Le profit, froid, pragmatique, global d’un côté. L’expérience client de l’autre, toute en rondeur, en finesse, en approches personnalisées. Deux notions a priori pas faites pour se croiser, encore moins pour se rencontrer. Et pourtant, cette union paraissant impossible s’est installée au coeur de la réalité économique de nombreuses entreprises. Le concept d’expérience client, apparu dans les années 80, ne cesse de s’enrichir, de se développer, jusqu’à devenir une dimension essentielle de la stratégie d’une compagnie, et la source de plus en plus indiscutable de son profit. Désormais incontournable, l’expérience client fait néanmoins face à un enjeu dont dépend sa crédibilité : lui adosser des indicateurs et des outils capables de mesurer les efforts déployés pour la mettre en place. Alors, comment faire pour que ces deux piliers se retrouvent autour d’une nouvelle frontière, à la fois commune et poreuse ?
Réconcilier objet et objectif avec objectivité
D’une certaine façon, la monétisation de l’expérience client revient à quantifier une donnée a priori qualitative. Quantifier l’inquantifiable donc. C’est justement cet antagonisme apparent entre objectivité du profit et subjectivité de l’expérience qu’il faut lever pour analyser l’expérience client à sa juste mesure. Que retrouve-t-on à la base de la monétisation ? Une évaluation. Monétiser une action, c’est la traduire en valeur économique ou financière. Prenons un exemple. En théorie, il semble difficile de mesurer la valeur économique directe d’un parcours d’achat en ligne optimisé. En réalité, pas tant que ça… Un parcours d’achat simplifié, c’est un pourcentage d’achat supplémentaire. C’est un volume d’achat par minute passée sur un site. C’est un taux de nouvelles visites après un premier achat qui elles-mêmes équivalent en moyenne à un certain nombre d’euros par visite. On le voit bien, la difficulté réelle n’est pas de donner une valeur économique à une donnée qualitative, mais de savoir l’évaluer de la manière la plus pertinente et la plus fine possible.
Des KPIs parfaitement alignés
Comme souvent, il faut alors s’intéresser aux présupposés de cette stratégie. Sur un mode paradoxal, la première étape d’une bonne approche de la monétisation de l’expérience client n’a rien à voir avec l’expérience client. En revanche, elle concerne pleinement la stratégie générale de l’entreprise : objectifs, ambitions, plan de développement, etc. Pendant longtemps, la stratégie d’amélioration de l’expérience client était vue comme un objectif à part, une dimension parmi d’autres, arrivant fréquemment en bout de chaîne de la stratégie marketing et commerciale. Or, elle a pris du galon. Son importance la rend désormais indissociable des objectifs généraux de l’entreprise. Elle en est même l’une des expressions principales.
Il est donc capital pour les entreprises de créer des ponts, d’instaurer un canal commun entre les objectifs généraux et l’amélioration de l’expérience client. Pour schématiser, si l’objectif global de l’entreprise est l’amélioration du résultat net, charge aux équipes responsables de l’expérience client de trouver les indicateurs permettant de mesurer les résultats de leurs initiatives pour parvenir à cet objectif. Les indicateurs, encore et toujours. De l’importance de la définition claire d’objectifs, déclinés en indicateurs précis pour l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise.
Des variables, mais un objectif unique
Il arrive évidemment que des facteurs exogènes interviennent ponctuellement pour fausser (ou corrompre) l’analyse des actions. Pour pallier ce risque, rien de tel qu’une étude basée sur des indicateurs à forte granularité. En la faisant sur un temps long, elle apporte un regard régulier et minutieux sur l’ensemble des paramètres.
C’est en outre une mécanique observable dans bien d’autres domaines. Les analystes financiers sont par exemple parfaitement capables de mesurer l’impact d’une baisse de prix sur un volume de vente, même en cas d’influence exceptionnelle d’un facteur externe à la stratégie de l’entreprise.
Rien n’empêche les stratégies d’expérience client d’obéir aux mêmes analyses rigoureuses, au même cadre de mesure. Si le COMEX parle de rentabilité, le Chief Customer Officer (rouage essentiel de la stratégie d’expérience client) entend : taux d’attrition, panier moyen, volume de transaction, tout cela mis en regard du coût d’acquisition d’un nouveau client, du coût de fidélisation… De multiples variables pour un seul et même objectif.
Humaniser les chiffres
Dans une symétrie parfaite, on peut d’ailleurs appliquer exactement la même logique à l’expérience collaborateur. Parce que les ressources humaines sont précieuses, nombre de problématiques qui gravitent autour d’elles peuvent faire l’objet d’indicateurs pertinents dans le cadre d’une analyse économique.
Quel est le coût d’un programme de formation pour les équipes, d’un séminaire, d’un intéressement un peu plus élevé ? Quel est le rapport entre ces données et le taux de turn-over ? Quel est le coût de recrutement d’une nouvelle ressource ? Le temps nécessaire à son installation et à sa productivité optimale ? Toutes ces questions peuvent trouver des réponses quantitatives et qualitatives qui débouchent ainsi sur une traduction économique.
Si on confond parfois monétisation et valeur marchande, monétiser une donnée, une ressource, une stratégie de l’entreprise, ce n’est pas la réduire froidement à sa seule dimension objective. C’est au contraire une façon d’en illustrer la valeur, d’en évaluer la réussite.
Après tout, n’est-ce pas le propre de l’entreprise de constamment chercher à optimiser ses leviers d’amélioration ? Expérience client comme expérience collaborateur sont sans doute des leviers parmi les plus puissants de cette amélioration.
Eytan Hattem, CCXP
Customer Experience Professional, Chief Customer Officer